Code national, XIIIᵉ partie
contenant la suite du Chapitre VIII
Ou supplément aux Tribunaux
et à l'Ordre judiciaire
 
Serré dans une rangée de vieux bouquins, sur un étal du marché Georges Brassens à Paris, ce Code national, un peu misérable dans sa couverture de papier fripé, avec ses feuilles gondolées, attend un improbable lecteur. Les vieux codes n'attirent pas les foules… Et pourtant ! 
 
Acheté, emporté, voici qu'il révèle ses trésors :

Sa date tout d'abord : M, DCC, XCII, (1792), année terrible ! Le pays est en guerre. On commence à chanter la Marseillaise. C'est la première Commune de Paris, le Roi est emprisonné, le tribunal révolutionnaire créé, les massacres de septembre ensanglantent la Révolution… Ses pages, encore toutes fraîches, comme si on venait de les ouvrir, surgissent de ce temps-là !

Mais elles consignent aussi une période un peu moins agitée qui commence à la proclamation de la loi martiale (21 octobre 1789) contre les rebelles à la Nation et au Roi (il est encore là !) et se ferme sur le décret en forme d'instruction pour la procédure criminelle (29 septembre 1791) avec un certain nombre de formulaires de procédure, « à trous », très modernes, comme on en utilise encore dans les tribunaux.

Entre ces deux dates, quelques textes, toujours pittoresques, quelquefois essentiels :

  • La procédure de levée de d'immunité des députés est votée dès le 27 juin 1790
  • Le 17 septembre 1791, les vacances judiciaires sont fixées - du 15 septembre au 15 novembre (pour la chasse et les vendanges ?). Le texte prévoit qu'un « service minimum » est assuré dans les tribunaux, jusqu'à la Cour de Cassation !
  • Le 28 février 1791, paraît un décret relatif au "refpect dû aux Juges & à leurs jugemens". Le dernier article du texte (XI) prévoit un large affichage de ses dispositions, ajoutant  qu'il sera lu de nouveau, chaque année, aux prônes des paroisses !
Plus important : une nouvelle organisation judiciaire, rationnelle et pyramidale, se substitue à l'invraisemblable enchevêtrement des juridictions d'Ancien Régime. De la justice de paix jusqu'à la cour de cassation, en passant par les tribunaux de district, les tribunaux criminels avec leurs jurés, la haute cour nationale... c'est tout un système judiciaire, avec son organisation et sa procédure, qui surgit. Les "masses de granit commencent ici. Légicentrisme triomphant  !

Encore faut-il connaître la loi, que nul n'est censé ignorer, selon le vieil adage !
« C’est une chose inconcevable que nos lois les plus importantes, tant civiles que criminelles, soient ignorées de la plus grande partie de la nation » écrit, en 1771, Louis Sébastien Mercier dans l’An 2440




Pour la première fois, deux textes, un décret du 5 novembre 1789 et un décret du 2 novembre 1790, définissent un système moderne de publicité des lois et des actes administratifs, par envoi aux tribunaux et corps administratifs. Expéditions authentiques, "en parchemin avec la formule de promulgation, signée du Roi, contresignée par le ministre de la Justice et scellée du sceau de l'État", qui constituent désormais les originaux authentiques des lois. C'est là l'origine du "scellement de la loi", confié au Garde des "sceaux", toujours en vigueur pour les lois constitutionnelles. Les 83 administrations de départements reçoivent copie des textes de l'Assemblée, à charge pour elles de les diffuser aux municipalités. Les commissaires du roi les font enregistrer par les tribunaux de districts dans les trois jours de leur réception, avec "lecture à l'audience et placards affichés". Finies les palinodies de l'enregistrement et des remontrances des Parlements d'antan ! La création du Bulletin des Lois, par décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793), prend la suite, en même temps que des publications privées, à caractère plus ou moins officiel, dont le bien connu Moniteur universel. Le Journal Officiel n’apparaît qu'à la fin du XIXème siècle (1868), jusqu'à son édition électronique en 2004, pour répondre à l'injonction du Conseil Constitutionnel de réaliser l'objectif, de valeur constitutionnelle d’accessibilité à la loi.  
 

Aujourd'hui, depuis le début de l'année 2016, plus de Journal officiel papier ! Les textes officiels (le J.O.) sont désormais immédiatement et exclusivement accessibles en ligne, comme auraient pu le rêver nos utopistes révolutionnaires !


 
Toujours dans ce vieux code, voici le premier Code pénal (décret du 25 septembre 1791), suivi du décret en forme d'instruction pour la procédure criminelle (29 septembre 1791).

On y devine les échos des débats du Comité de législation criminelle, l'influence du marquis de Beccaria, l'humanisme de Le Pelletier de Saint-Fargeau, rapporteur du projet, hostile à la peine de mort, mais qui votera la mort du Roi, avant de se faire poignarder le jour même, à cause de son vote. Brillat-Savarin, magistrat lui aussi, était au contraire favorable à la peine de mort. C'est lui qui est entendu. L'article 3 du nouveau code est célèbre pour son raccourci : Tout condamné aura la tête tranchée ! Pour sauver sa tête durant ces temps troublés, le même Brillat-Savarin ira faire sonner son Stradivarius au théâtre de New-York, avant de revenir à la cour de cassation écrire des chroniques gastronomiques plutôt que des arrêts !

La prison doit être l'exception. Les peines sont fixes. La réhabilitation du condamné est un objectif. Le prisonnier doit pouvoir travailler. Quelle modernité ! On note au passage une peine insolite, bien vite oubliée : la gêne. Ignorée, même de Wikipédia ! Omission désormais réparée.

 La grande ordonnance criminelle de 1670 de Louis XIV, le code d'instruction criminelle de 1810 de Napoléon, sont le laboratoire des idées nouvelles en matière pénale. C'est bien « une autre justice » qui surgit dans ces années-là. « Je définis la Révolution, l'avènement de la loi, la résurrection du droit, la réaction de la justice » écrit Jules Michelet dans son Histoire de la Révolution Française.

La justice nouvelle coupe les ponts avec l'ancienne. Elle met en forme ses rêves, nimbés des Lumières, bientôt éteintes, car les moyens ne seront jamais à la mesure des ambitions, en des temps difficiles... qui durent toujours !


     CéCédille
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Sur les codes révolutionnaires :
Sur la publication des lois :
  •  Conseil constitutionnel, Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 qui évoque, dans son Considérant n° 13, "l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi".
 Sur le code pénal :
  • Renée Martinage, Les innovations des constituants en matière de répression, dans le livre de référence sur le sujet : Une autre Justice 1789-1799, Dir. Robert Badinter, 1989, p. 105 et suiv. 
  • Pierre Lascoumes, Pierrette Poncela, et Pierre Lenoël, Au nom de l’ordre : une histoire politique du code pénal, Paris, Hachette, 1989

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