Sir William Hamilton
par Sir Joshua Reynolds, 1776-7
National Portrait Gallery, Liverpool
 
Dans son roman «L'amant du Volcan», Susan Sontag  dresse un portrait attachant de Sir William Hamilton, ambassadeur anglais à Naples, « avec ce portrait que nous avons de lui, quelque peu austère, en perruque poudrée, long manteau élégant et souliers à boucles, un profil d'oiseau, de la superbe, l'air vigilant, observateur, résolu dans son détachement » (p. 29).

Le récit de l'amour fidèle que partagent pendant seize ans «Il Cavaliere» (surnom bien dévalorisé par les temps qui courent) et sa première épouse, Catherine, est touchant. Le deuxième mariage, avec une aventurière, n'est que la régularisation d'une liaison née du souci de sortir un neveu d'embarras financiers et de le débarrasser d'une encombrante maitresse. Encombrante, mais charmante. Hamilton s'en fait le Pygmalion, et finit, malgré le qu'en-dira-t-on, par l'épouser. "My fair lady" !

Son égérie connait d'ailleurs le succès, par son art singulier de prendre la pose, pour le contentement de ses admirateurs et des peintres qui se pressent pour faire son portrait, que son mari s'empresse de revendre, comme le racontera, plus tard, dans ses souvenirs, Élisabeth Vigée-Lebrun.

Lady Hamilton en  Ariane par Élisabeth Vigée-Lebrun, 1790

 «...la question était de savoir quel personnage mythique, de la littérature ou de l'histoire ancienne, elle personnifierait. Vigée-Lebrun décida, non sans malice, de la peindre en Ariane. Le moment choisi fut celui où Ariane, contre sa volonté, est sans cérémonie  déposée à Naxos par Thésée. Bien que l’évènement vienne à peine de se produire, l'héroïne n'a absolument pas l'air désespéré. Au premier plan, juste à l'entrée d'une grotte, vêtue d'une longue robe blanche fluide en partie recouverte par sa luxuriante chevelure auburn qui lui tombe vagues sur les épaules, sur le ventre, jusqu'à ses genoux potelés, elle est assise sur un tapis en peau de léopard, adossée au rocher, portant décorativement une main à sa joue, tandis que l'autre tient une coupe en cuivre. Elle a le dos tourné à l'entrée et regarde à l'intérieur de la grotte comme si le spectateur, qu'elle semble fixer de ses yeux écarquillés pleins d'une candeur niaise, et la source de lumière vive qui irradie son visage, sa poitrine, ses bras nus, se trouvaient au fond, à l'intérieur de la grotte. Derrière elle, la mer qui s'étend, et dans le lointain, sur la ligne d' horizon, un minuscule bateau. Il y a tout lieu de croire que c'est celui de Thésée, le héros dont elle a sauvé la vie et qui a promis de la ramener avec lui dans son pays pour l'épouser, mais qui s'est finalement débarrassé d'elle en cours de route, la laissant mourir sur cette île déserte.

... est-ce le spectateur, seulement, qui est séduit, là au fond de la grotte, étant donné que la vraie femme séduisait tout le monde, avec son beau sourire radieux et emphatique qu'elle faisait resplendir sur tous. Mais pas avec le sourire franchement suggestif qu'elle a sur le tableau. Elle est plus simple, plus désireuse de plaire,moins sûre d'elle que cela. Jamais, dans aucun des portraits qu'on a faits d'elle, on ne l'aura aussi explicitement représentée en courtisane. Représentation déplaisante, de la part d'une femme indépendante qui, dans le monde, réussit à survivre grâce à son esprit et son talent de peintre, d'une autre fille engagée dans le même jeu risqué. Mais tout impudent qu'il était, le portrait eut un grand succès. 
 Susan Sontag, L'amant du Volcan»,  p. 182

La loyauté d'Hamilton est admirable, en amour comme en amitié. Lorsque fait irruption avec sa flotte dans la baie de Naples l'illustre Nelson, auréolé de ses victoires (« Pour tout dire : le héros est un petit homme mutilé, édenté, usé et trop maigre » écrit Sontag p. 227), il l'admire et l'affectionne comme son meilleur ami. Qu'il devienne l'amant de sa femme et lui fasse un enfant ne saurait troubler leurs relations. La femme et l'amant lui tiendront la main à sa mort et le pleureront sincèrement. Il y a de la modernité dans cette relation sans exclusive. Sartre et Simone de Beauvoir en feront, plus tard, la théorie. La fin de l'histoire est moins glorieuse pour Lady Hamilton qui meurt dans la misère et l'oubli après la mort de Nelson.

HMS Colossus
 
L’intérêt du roman, que son titre ne dévoile pas, est le portrait saisissant que fait Susan Sontag de la passion du collectionneur qui anime essentiellement William Hamilton. C'est dire le drame que constitue pour lui le naufrage, en 1798, dans les iles Scilly, du Colossus, qui rapatriait ses collections en Angleterre. 

«... outre un investissement très lucratif et un exutoire à sa frénésie de collectionner, il y avait une dimension morale dans ces pierres,  ces fragments, ces objets de marbre, d'argent et de verre dépolis, modèles de perfection et d'harmonie; ce qu'il y avait d'insolite, d'ouvert au démoniaque, dans l'Antiquité était resté dans une large mesure invisible aux yeux des premiers amateurs d'antiquités; ce que le Cavaliere négligeait, ce qu'il n'était pas enclin à voir, dans l'Antiquité, c'est justement ce qu'il aimait dans le volcan; les cavités et les creux insolites, les grottes sombres, les fissures, les précipices, les cataractes, les excavations au fond des excavations, les rochers sous les rochers - les décombres et la violence, le danger, l'imperfection. »        
L'amant du Volcan, Susan Sontag,  p. 69

Mais la grande passion d'Hamilton, plus que pour ses femmes ou ses collections, est pour le volcan qui domine la baie de Naples, ce Vésuve empanaché ou rougeoyant qu'il contemple de sa terrasse, qu'il admire, parcourt, explore, étudie et illustre. De ses observations minutieuses et raisonnées nait, dans les lumières du sud de l'Italie et du XVIIIe siècle, la volcanologie.


Les Fureurs du Vésuve ou L'Autre passion de Sir William Hamilton 
Collection "Découvertes Gallimard",  1992


     CéCédille

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  • Susan Sontag, L'amant du volcan, coll. Points, n° P 374. Le roman de Sontag peut être drolatique, lorsqu'il décrit les fastes et les frasques du roi de Naples, flatulent, obèse et immature. Sa fuite devant les armées françaises, et les horreurs liées à son retour font un tableau saisissant. L'auteur utilise un registre polyphonique, en faisant intervenir divers protagonistes, éclairant de leurs différents points de vue les mêmes scènes. Le concert d'éloges qui a accompagné ce roman était décidément bien mérité.
  •  Les Fureurs du Vésuve ou L'Autre passion de Sir William Hamilton de la collection "Découvertes Gallimard", paru en 1992, reproduit l'ensemble des sept rapports envoyés par William Hamilton à la Royal Society, à Londres, publiés en 1776 sous le titre "Campi Phlegraei, Observations on the Volcanos of the Two Sicilies", illustrés des planches de Pierre Fabris, éditeur et illustrateur. 
  • Les historiens notent que Nelson est indirectement à l'origine du naufrage du Colossus. Il avait en effet délesté le Colossus de son ancre de bossoir pour équiper son navire, le Vanguard. C'est lors d'un grain, aux iles Scilly, où le Colossus s'était abrité, que cette ancre fit défaut, alors que le navire, dont l'ancre principale avait cédé, était entrainé par la tempête vers les récifs qui le firent sombrer, le 10 décembre 1798.
  • L'épave du Colossus a été retrouvée en 1974 au large des iles Scilly. Plusieurs campagnes de fouilles ont permis de retrouver les antiquités d'Hamilton qui sont exposées au British Museum à Londres et dans l'ile de Tresco. La campagne de fouilles se poursuit.
"... je vis arriver chez moi le chevalier Hamilton, ambassadeur d'Angleterre à Naples, qui me demandait en grâce que mon premier portrait fût celui d'une superbe femme qu'il me présenta; c'était madame Hart, sa maitresse, qui ne tarda pas à devenir lady Hamilton, et que sa beauté a rendue célèbre...

Je peignis madame Hart couchée au bord de la mer, tenant une coupe à la main. Sa belle figure était fort animée et contrastait complètement avec celle de la comtesse; elle avait une quantité énorme de beaux cheveux châtains qui pouvaient la couvrir entièrement, et en bacchante, ses cheveux épars, elle était admirable.

Le chevalier Hamilton faisait faire ce portrait pour lui; mais il faut savoir qu'il revendait très souvent ses tableaux lorsqu'il y trouvait un bénéfice ; aussi, M. de Talleyrand, le fils ainé de notre ambassadeur à Naples, entendant dire un jour que le chevalier Hamilton protégeait les arts, répondit-il «Dites plutôt que les arts le protègent.» Le fait est qu'après avoir marchandé fort longtemps pour le portrait de sa maîtresse, il obtint que je le ferais pour cent louis et qu'il l'a vendu à Londres trois cents guinées. Plus tard, lorsque j'ai peint encore lady Hamilton en sibylle pour le duc de Brissac, j'imaginai de copier la tête et d'en faire présent au chevalier Hamilton, qui la vendit tout de même sans hésiter.
La vie de lady Hamilton est un roman : elle se nommait Emma Lyon ; sa mère, dit-on, était une pauvre servante, et l'on n'est pas d'accord sur le lieu de sa naissance; à treize ans, elle entra comme bonne d'enfant chez un honnête bourgeois à Hawarder; mais, ennuyée de l'obscurité dans laquelle elle vivait, et se flattant qu'à Londres elle pourrait se placer plus convenablement, elle s'y rendit. Le prince de Galles m'a dit l'avoir vue à cette époque, avec des sabots à la porte d'une fruitière, et quoiqu'elle fût très pauvrement vêtue, sa charmante figure la faisait remarquer. Un détaillant du marché Saint-Jean la reçut à son service, mais elle sortit bientôt de chez lui pour entrer comme femme de chambre chez une dame de bonne famille et très honnête. Dans cette maison elle prit le goût des romans, puis le goût des spectacles. Elle étudiait les gestes, les inflexions de voix des acteurs, et les rendait avec une facilité prodigieuse. Ce talent, qui ne plaisait et ne convenait nullement à sa maîtresse, la fit renvoyer.
Ce fut alors qu'ayant entendu parler d'une taverne où se rassemblaient tous les artistes, elle imagina d'aller y chercher de l'emploi. Sa beauté était dans tout son éclat; toutefois, elle était encore très sage. On raconte que sa première faiblesse eut pour motif de sauver un de ses parens nommé Galois, qui venait d'être pressé sur la Tamise, et qui était matelot. Le capitaine, auquel elle s'adressa pour obtenir la délivrance de son parent, y mit un prix qui lui livra la jeune fille. Devenu possesseur d'Emma, il lui donna des maîtres de toute espèce, puis il l'abandonna. Elle fit alors connaissance avec le chevalier Feathersonhang qui la trouva trop fière avec lui, et ne tarda pas à l'abandonner aussi. Emma se voyant sans ressource, descendit bientôt au dernier degré d'avilissement. Un hasard étrange la tira de cet abîme. Le docteur Graham s'empara d'elle, pour la montrer chez lui, couverte d'un léger voile, sous le nom de la déesse Higia (déesse de la santé); une quantité de curieux et d'amateurs venaient en foule la voir; les artistes surtout en étaient charmés. Quelque temps après cette exhibition, un peintre l'emmena chez lui comme modèle; il lui faisait prendre mille attitudes gracieuses qu'il fixait dans ses tableaux.
C'est là qu'elle perfectionna ce talent d'un nouveau genre, qui l'a rendue célèbre. Rien n'était plus curieux en effet que la faculté qu'avait acquise lady Hamilton de donner subitement à tous ses traits l'expression de la douleur ou de la joie, et de se poser merveilleusement pour représenter des personnages divers. L'œil animé, les cheveux épars, elle vous montrait une bacchante délicieuse, puis tout à coup son visage exprimait la douleur, et l'on voyait une Madeleine repentante admirable. Le jour que le chevalier Hamilton me la présenta, il voulut que je la visse en action je fus ravie; mais elle était habillée comme tout le monde, ce qui me choquait. Je lui fis faire des robes comme celles que je portais, pour peindre à mon aise, et qu'on appelle des blouses elle y ajouta des schals pour se draper, ce qu'elle entendait très bien; dès-lors, on aurait pu copier ses différentes poses et ses différentes expressions pour faire toute une galerie de tableaux; il en existe même un recueil, dessiné par Frédéric Reinberg, qu'on a gravé.

Pour revenir au roman de sa vie, c'est tandis qu'elle était chez le peintre dont j'ai parlé, que lord Gréville en devint si fort amoureux, qu'il allait l'épouser en 1789, quand il fut subitement dépouillé de ses places et ruiné. Il partit aussitôt pour Naples, dans l'espoir d'obtenir des secours de son oncle, le chevalier Hamilton, et il emmena Emma afin qu'elle plaidât sa cause auprès de son grand parent. Le chevalier, en effet, consentit à payer toutes les dettes de son neveu, mais à la condition qu'Emma lui resterait (je tiens ces détails de lord Gréville lui-même). Emma devint donc la maîtresse de lord Hamilton, jusqu'au printemps de 1791, qu'il se détermina à l'épouser en dépit des remontrances de sa famille. Il me dit, en partant pour Londres «Elle sera ma femme malgré eux; après tout, c'est pour moi que je l'épouse

Ainsi, ce fut lady Hamilton qu'il ramena à Naples peu de temps après, devenue aussi grande dame qu'on puisse l'être. On a prétendu que la reine de Naples alors s'était intimement liée avec elle. Il est certain que la reine la voyait ; mais on peut dire que c'était politiquement. Lady Hamilton étant très indiscrète, la mettait au fait d'une foule de petits secrets diplomatiques, dont Sa Majesté tirait parti pour les affaires de son royaume. Lady Hamilton n'avait point d'esprit, quoiqu'elle fût excessivement moqueuse et dénigrante, au point que ces défauts étaient les seuls mobiles de sa conversation; mais elle avait de l'astuce, qui l'a servie à se faire épouser. Elle manquait de tournure et s'habillait très mal, dès qu'il s'agissait de faire une toilette vulgaire. Je me souviens que, lorsque je fis mon premier portrait d'elle en sibylle, elle habitait, à Caserte, une maison que le chevalier Hamilton avait louée ; je m'y rendais tous les jours, désirant avancer cet ouvrage. La duchesse de Fleury et la princesse Joseph de Monaco assistaient à la troisième séance, qui fut la dernière. J'avais coiffé madame Hart (elle n'était pas encore mariée) avec un schall tourné autour de sa tête en forme de turban, dont un bout tombait et faisait draperie. Cette coiffure l'embellissait au point que ces dames la trouvaient ravissante. Le chevalier nous ayant toutes invitées à dîner, madame Hart passa dans ses appartemens pour faire sa toilette, et lorsqu'elle vint nous retrouver au salon, cette toilette, qui était des plus communes, l'avait tellement changée à son désavantage, que ces deux dames eurent toutes les peines du monde à la reconnaître.

Lorsque j'allai à Londres, en 1802, lady Hamilton venait de perdre son mari. Je me fis écrire chez elle, et elle vint aussitôt me voir dans le plus grand deuil. Un immense voile noir l'entourait, et elle avait fait couper ses beaux cheveux pour se coiffer à la Titus, ce qui était alors à la mode. Je trouvai cette Andromaque énorme; car elle avait horriblement engraissé. Elle me dit en pleurant qu'elle était bien à plaindre, qu'elle avait perdu dans le chevalier un ami, un père; et qu'elle ne s'en consolerait jamais. J'avoue que sa douleur me fit peu d'impression; car je crus m'apercevoir qu'elle jouait la comédie. Je me trompais d'autant moins que peu de minutes après, ayant aperçu de la musique sur mon piano, elle se mit à chanter un des airs qui s'y trouvaient.

On sait que lord Nelson à Naples avait été très amoureux d'elle; elle était restée avec lui en correspondance fort tendre; et quand j'allai lui rendre sa visite un matin je la trouvai rayonnante de joie; de plus, elle avait placé une rose dans ses cheveux comme Nina. Je ne pus me tenir de lui demander ce que signifiait cette rose ? - C'est que je viens de recevoir une lettre de lord Nelson, me répondit-elle. Le duc de Berri et le duc de Bourbon, ayant entendu parler de ses attitudes, avaient un désir extrême de voir ce spectacle qu'elle n'avait jamais voulu donner à Londres. Je lui demandai de m'accorder une soirée pour les deux princes, et elle y consentit. J'invitai alors quelques autres Français que je savais être fort curieux d'assister à cette scène; et le jour venu  je plaçai dans le milieu de mon salon un très grand cadre enfermé à droite et à gauche dans deux paravens. J'avais fait faire une énorme bougie qui répandait un grand foyer de lumière je la posai de façon qu'on ne pût la voir, mais qu'elle éclairât lady Hamilton comme on éclaire un tableau. Toutes les personnes invitées étant arrivées, lady Hamilton prit dans ce cadre diverses attitudes avec une expression vraiment admirable. Elle avait amené avec elle une jeune fille qui pouvait avoir sept ou huit ans, et qui lui ressemblait beaucoup. Elle la groupait avec elle, et me rappelait ces femmes poursuivies dans l'enlèvement des Sabines du Poussin. Elle passait de la douleur à la joie, de la joie à l'effroi, avec une telle rapidité que nous étions tous ravis.

Comme je l'avais retenue à souper, le duc de Bourbon, qui était à table à côté de moi, me fit remarquer combien elle buvait de porter [bière noire]. Il fallait qu'elle y fut bien accoutumée, car elle n'était pas ivre après deux ou trois bouteilles. Longtemps après avoir quitté Londres, en 1815, j'ai appris que lady Hamilton venait de finir ses jours à Calais, où elle était morte dans l'isolement et la plus affreuse misère."





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